LES MURETTES ET CAPITELLES

Forme d’habitat miniature dispersé, qualifié d’abri temporaire, de grenier ou de silo céréalier, d’enclos de bétail, d’entrepôt, d’atelier de tri ou de prétraitement artisanal, la « cabane » est un phénomène habitationnel élémentaire fort répandu à travers le monde rural, sous toutes les latitudes. De l’apatam à la case de campement de la brousse africaine à la hutte primitive ou au bohio des campagnes amérindiennes, de la troje tarasque ou du jacal mexicains, en passant par le buron auvergnat ou le chalet à foin suisse, seuls changent les matériaux utilisés, mais le style et la fonction restent d’émanation strictement rustique et paysanne.

Tous partagent en commun les critères d’isolation en milieu champêtre, de précarité ou d’éphémère en rapport avec le matériau en général périssable employé dans leur construction : bouse de vache ou boue séchée, pisé, feuilles, bambou, planches ou bois divers, réemploi de matériaux hétéroclites de rebut. Réduction à un seul corps de bâtiment et à la pièce unique, massivité des formes et exiguïté des dimensions, absence de fondations, géométrie architecturale rudimentaire, quadrangulaire ou pseudo-circulaire, absence d’ouvertures facilitant la pénétration de l’air et de la lumière, en dehors de celle, presque toujours étroite et basse, à usage de porte d’accès, sont leurs autres traits caractéristiques communs.

Très répandu sur le pourtour méditerranéen, cet habitat les y synthétise tous à l’exception du second : certes fragile en l’absence de tout liant de jointoiement des parois, sa solidité incontestable réside dans la nature du matériau constitutif : la lauze de calcaire lithique, se présentant sous forme de dalles clivées ou « goutals » de toutes dimensions et épaisseurs, dont la régularité de l’empilement isodome et le poids assurent une parfaite résistance aux intempéries et à l’usure normale du temps.

Sous une terminologie très diversifiée de nuraghe en Sardaigne, de trulli dans les Pouilles de talayot dans les Béléares, de cabana dans le Levant espagnol ou de barraca en Catalogne, ce mini-habitat rustique relève d’un vocabulaire régional extrêmement riche qui souligne la densité et l’étendue des aires géographiques de l’objet qu’il désigne. Pour nous en tenir aux régions méridionales françaises, on parlera de gariotte dans le Quercy, d’oustalet dans le Lot, de chibotte dans le Velay, de borie dans le Vaucluse de Gordes et le Lubéron, de capitelle dans les garrigues nîmoises, enfin et tout simplement de cabanon dans le pays marseillais ou de « cabane » à l’orée de la basse plaine languedocienne sur laquelle s’articule le terroir aubaisien.

Sous ce label figure donc un habitat multivarié dont la discrétion n’est pas signe de rareté, mais rançon d’un anonymat si préservé, que ‘cartulaires, compoix et autres modernes cadastres n’en font jamais – sinon très exceptionnellement – mention, et moins encore description.

Pourtant, la cabane provençale ou languedocienne présente une spécificité architecturale qui la distingue d’autres spécimens péri-méditerranéens côtiers : entièrement monobloc, elle ne possède pas de toit distinctif. Autrement dit, seul le matériau sédimentaire calcaire entre dans la totalité de sa construction. Pas de charpente boisée, pas de tuiles. Seulement la lauze qui, prenant le relais d’un appareillage réticulé mural, est élevée en « fausse » voûte d’encorbellement et passe à une forme ogivale de dôme jusqu’à l’ultime et minuscule orifice circulaire terminal, enfin operculé par la lourde lauze sommitale. Technique dont la maîtrise force l’admiration et que l’on ne s’attend guère à rencontrer déployée au bénéfice d’un habitat aussi fruste que de modeste importance.

On peut donc observer par là le signe concret d’une très ancienne tradition d’utilisation de la « pierre essuyte « . À quelle époque se place l’origine de cette technique et de son emploi en Bas-Languedoc ? Certainement très ancienne, il est pratiquement impossible d’avancer une quelconque datation.

Cependant, Aubais est terre d’un vieux peuplement arécomique remontant, comme dans l’ensemble régional, au Néolithique : le terroir renferme un gisement chalcolithique connu, localisé, mais non exploité. Mieux encore, il a l’avantage d’être situé à quelques 5 kms seulement de sites prestigieux : oppida de Nages et de la Roque de Viou en balcon au-dessus de la Vaunage et celui de Fontbouisse, sur le territoire de la commune de Villevieille, qui nous a légué l’étape éponyme chalcolithique du Fontbuxien.

Ce gisement est riche de fonds de cabanes dont la base murale offre l’ébauche de la technique de construction en pierre sèche, mais la présence d’alignements de trous de poteaux de soutènement de charpente prouve en l’occurrence l’existence d’une couverture boisée étanchéisée de paille, chaume ou branchages qui ne rappellent en rien le revêtement compact faussement voûté de lauzes en encorbellement.

Cette technique est particulièrement nette dans l’appareillage pariétal réticulé du site de Cambous (près de Viols en Laval, Hérault) à 25 kms à l’ouest d’Aubais où l’on peut admirer les restes préhistoriques imposants de cabanes groupées en « village », faisant apparaître des plans ovoïdoformes réguliers, approchant de certaines de nos cabanes aubaisiennes « modernes » dont la superstructure en voûte d’encorbellement est signe d’une origine largement postérieure au Bronze terminal, que certains spécialistes situent dans la phase de la Tène du 2ème âge de Fer.

Faire remonter l’origine de celles-ci au chalcolithique a été une tentation à laquelle n’a guère résisté toute une génération de préhistoriens engagée dans l’interprétation extrapolée d’un habitat « subactuel » présentant objectivement certaines similitudes.

[…]

Un doute subsiste cependant : édifice lourd, massif, construit sans liant ni fondation de sous-sol, la cabane de pierre sèche s’avère d’une fragilité extrême et s’il est difficile d’en évaluer exactement la durée de vie, on peut estimer qu’elle ne dépasse pas en général deux siècles dans de bonnes conditions d’utilisation et d’entretien. Cette estimation repose uniquement sur les quelques rares données écrites, dans la pierre ou le document d’archive étranger à Aubais. Ici, l’absence de fondations garantes de la survie archéologique de l’édifice disparu représente une lacune profonde pour l’identification de l’origine de la construction.

Lorsqu’aujourd’hui nous nous trouvons face à une cabane vierge de toute inscription, rien ne nous autorise à penser qu’elle a été « fabriquée » 80 ans, un, deux ou trois siècles plus tôt. La fouille archéologique n’a révélé jusqu’à présent aucun indice dépassant une longévité biséculaire, alors qu’elle autorise une datation plus précise et plus lointaine pour des vestiges de « fonds de cabanes » enfouis depuis plus de deux millénaires.

Extrait de Claude Bouet, Les cabanes d’Aubais : à la découverte des capitelles, Serge Popovitch éditeur, Nîmes, 1994.